Monday, October 6, 2008

ALEXANDRE LE GRAND : PAS SI GRAND

De tous temps, les historiens ont été fascinés par la personnalité et les accomplissements du fils de Philippe de Macédoine en omettant soigneusement ce qu'Alexandre Le Grand devait à son père. En un mot, il lui doit tout : l’éducation par Aristote, la minutieuse préparation à la conquête et au pouvoir et un caractère déterminé. A sa mère, la jalouse et vindicative Olympias, il doit un caractère fougueux, passionné, souvent injuste et cruel. Ses parents se sont déchirés toute leur vie et ces combats permanents ont marqué le jeune Alexandre qui prendra partie pour l'un ou l'autre au gré de ses humeurs et jugements. Cette éducation tourmentée ne sera pas un gage de stabilité et d’équité de son caractère : il ira d'un excès à son contraire, comme s'il cherchait a se faire pardonner. Un signe d’immaturité politique dont il fera preuve toute sa vie.

Alexandre le Macédonien

Avant d'aller plus loin, il faut aussi préciser que, contrairement à une opinion très répandue, Philippe et Alexandre de Macédoine n’étaient pas, comme le nom l'indique, Grecs mais Macédoniens et ce sera leur boulot de fédérer la Grèce sous le joug macédonien. Dire que les Macédoniens sont Grecs, c'est un peu comme dire aux Corses qu'ils sont Sardes ou Provençaux... Les langues des deux régions étaient comparables mais différentes et l'origine ethnique des uns et des autres différente, quoique dans chaque cas Nordique, c'est a dire provenant du Nord, vraisemblablement d'Europe centrale dans le cas des Hellènes (qui deviendront les Grecs). Il y avait même à Athènes une si forte opposition a la Macédoine et aux volontés hégémoniques de Philippe que des émissaires furent envoyés par la ville en Perse pour avertir le roi des dangers pour l'empire perse d'une Grèce fédérée sous le joug macédonien. A l’époque, la Perse contrôle tout le Moyen Orient, l'Egypte et bien entendu l'Iran actuel. Cela n’empêchera pas Philippe de subjuguer Athènes en 338 mais de lui accorder la paix dans des conditions extrêmement généreuses ce que ne saura pas faire plus tard son fils pour Thèbes.

Une mère haineuse et intriguante

A la mort de son père, assassiné au cours du mariage de sa propre fille par un de ses garde-du-corps, Alexandre devient roi de Macédoine. Olympias que Philippe avait répudiée quelques années plus tard refait alors surface et aurait rendu au meurtrier de son mari, lui même lynché par la foule, un hommage funéraire plus grand qu'à son ex-mari, histoire de bien montrer la haine qu'elle portait à ce dernier. Peu après la mort de Philippe, Alexandre- nomme capitaine-général des armées grecques- part en campagne contre les Scythes, puis contre l’Illyrie et lorsque la ville de Thèbes inquiète de ses campagnes se révolte contre son autorité, Alex s'en prend à elle et la rase complètement à l'exception de la maison du poète Pindar. Alexandre eut toute sa vie ce genre de lubies inconséquentes mais le souvenir de Thèbes le hanta longtemps comme un acte de barbarie inutile.

Fédération par la terreur

La Grèce fut frappée de stupeur devant un tel traitement mais tout esprit de rébellion fut tué dans l'oeuf. Alexandre put alors s'en prendre en toute tranquillité a l'ennemi traditionnel, le Perse. En 333 BC, il écrase l’armée de Darius III à Issus (Syrie actuelle) et Darius prend la fuite mais Alexandre, magnanime pour une fois, le laisse s'enfuir et s'en prend aux bases navales des Perses, à savoir Tyre et Sidon, puis Gaza qui furent pillées et leurs habitants vendus comme esclaves. En 332, Alex entre en Egypte et cette fois les Grecs le reconnaissent comme leur chef et Athènes lui reconnaît la couronne dorée de la victoire. De ce jour, Grecs et Macédoniens vont être alliés. Les Egyptiens aussi vont l'accepter, heureux être débarrassés de la tutelle perse et de voir leur nouveau chef respecter leurs croyances religieuses. Il va y fonder Alexandrie et au nord de Tyre, la ville détruite, il fondera Alexandrette. L’année suivante, il remonte vers le Nord et près de l'ancienne Ninive, détruite quelques siècles plus tôt, il rencontre le reste des armées perses de Darius dont la stratégie militaire reste basée sur la cavalerie et ses chariots. Alexandre et ses phalanges vont en faire une seule bouchée, pour ne pas dire boucherie, durant la bataille de Arbela (octobre 331).

Persépolis en feu

Darius va fuir une fois de plus (il sera peu après assassiné par ses guerriers) laissant la voie libre a Alex qui va marcher vers Babylone, l'ancienne cite de Hammurabi et de Nabuchodonozor, qui est alors toujours florissante, puis il se dirige sur Suse, la capitale perse, puis sur Persepolis où il se permet de brûler le palais du roi des Rois. Ensuite, pendant sept ans, tout se passe comme si, grisé par ses succès, il perd la tête et ne trouve rien d'autre à faire qu'à conquérir le reste du monde sans plan directeur ni stratégie. Après la mer Caspienne, il marchera sur le Turkestan et fondera la ville de Herat, puis sur Kaboul et obliquera ensuite vers le Sud pour aller livrer bataille sur les rives de l'Indus au roi Porus et a ses troupes d’éléphants qu'il va écraser.

Révolte des soldats

Il aurait bien continuer vers l'Est mais ses soldats en avaient assez et refusèrent de le suivre. Quand il se décide enfin à rentrer a Suse en 324, c'est pour trouver dans l'empire une pagaie incroyable : même le trésorier du royaume a levé le pied avec une partie de la caisse et aurait acheté pas mal de loyaux serviteurs, y compris le vertueux et démagogique Démosthène. A 31 ans, Alexandre contrôle l'ancien empire perse, la Grèce et la Macédoine depuis six ans, un fabuleux destin et un extraordinaire accomplissement. Mais il n'a pas fait autre chose que conquérir. Il n'a mis aucune administration en place, se bornant à conserver l'organisation perse des "satrapes", ces potentats locaux corrompus et médiocres. En Inde, il a laissé le roi Porus gouverner comme satrape, c'est en tout cas ainsi que les Grecs le considérèrent désormais. En Egypte, il remplaça les gouverneurs par des hommes nouveaux sans rien toucher ni réformer.

La conquête sans vision

Tout se passera comme si la conquête n’était qu'un processus d'acquisition incontrôlé et sans but pour le simple plaisir de l'esprit et de la vanité de l'homme. Je conquiers donc je suis, pourrait avoir été sa devise. Les historiens qui n 'aiment pas la médiocrité prétendront qu'il a hellénisé l'Orient. Une affirmation dénuée de sens dans la mesure où l'influence grecque était déjà ressentie dans tout le Moyen Orient depuis longtemps. En revanche, Alexandre n'a créé aucun axe majeur de communication, aucune école, ne s'est jamais, comme son père, préoccupé de sa succession, n'a pas cherché une pérennité de ses actions. Il s'est contente de bâtir une légende qui dure toujours, son véridique accomplissement.

Amoureux de sa gloire

Certes à Suse, il épousa la fille de Darius mais il était déjà marié a Roxane, la fille du roi de Samarkand et semble avoir ajouté une femme à ses conquêtes sans véritable intention de créer une lignée ou a fortiori une dynastie. Il semble qu'Alexandre soit tombé amoureux de sa propre gloire et ait succombé aux charmes fastueux de l'Orient et qu'il n'ait pas vu beaucoup plus loin. Il portera la tiare des monarques orientaux, se distinguant par une vanité qui impressionnera tous les écrivains de son temps. Un de ses généraux, Philotas, déclara un jour a une maîtresse qu'Alex n'était qu'un petit garçon et que sans Philippe et lui-même, il n'y aurait jamais eu de conquête de la Perse. Rapportés ses propos valurent au général d'être mis à mort. Puis effrayé à l’idée que le père de Philotas, un autre brillant général des armées macédoniennes, n'apprit le triste sort de son fils, Alexandre envoya quelques hommes de main pour l’occire avant qu'il soit informé de ces basses oeuvres. Rien de très grand dans toutes ses actions.

Meurtres et assassinats sans raison

Même Callistène, le neveu du fidèle Aristote, le percepteur patient et dévoué du jeune Alexandre, qui se permit de le critiquer, fut mis a mort ainsi que le frère de lait d'Alex -le jeune Clitus- qui lui aussi se crut autorisé à reprocher à Alexandre de s'attribuer toute la gloire de conquêtes opérées par des milliers de soldats. Alexandre le transpercera de plusieurs coups de lance. Une autre fois, il fera crucifier le médecin personnel d'un personnage important de la cour qui avait profité de l'absence de l'homme de l'art pour faire une sévère entorse au strict régime prescrit et en était mort. Finalement, il consacrera une somme énorme pour faire enterrer le trop gourmand dignitaire, plus pour montrer au bon peuple la grandeur de son chagrin que par réelle compassion. Le comportement d'Alexandre n'est pas celui d'un tyran inspiré ou d'un conquérant visionnaire mais d'un lunatique capable d'actes sans logique ni fondement, uniquement préoccupé de sa gloire et de sa légende.

Mort de trop de libations ou empoisonné, that's the question

En 323, après une série de banquets trop arrosés, il fut pris de fièvres et mourut a l’âge de 33 ans. L'empire qu'il avait conquis va se morceler comme une vieux vase d'argile et tomber en morceaux en quelques années. Sa première femme Roxane va faire assassiner la seconde, la fille de Darius, mais finalement elle ne survécut pas longtemps : son fils et elle furent assassinés en 311. Selon Plutarque, Olympias, la mère toujours présente et passionnée, accusera tout le monde d'avoir empoisonné son fils. La preuve ne sera jamais apportée. Elle sera elle-même assassinée. L'empire va être partagé entre les généraux d'Alexandre : l'ancien empire perse échut au général Seleucus qui va fonder une dynastie (les Seleucides) qui va durer des siècles, la Macédoine va tomber dans l'escarcelle du général macédonien Antigone tandisque l'Egypte va revenir au général macédonien Ptolomée qui va lui aussi fonder une dynastie qui durera jusqu’à Cléopâtre et a la conquête romaine. Au passage, on notera que Cléopâtre était donc d'origine macédonienne plus que grecque.

En tout cas, l’héritage d'Alexandre le Grand est davatange celui de ses généraux que le sien. Ce sont eux qui vont, après avoir servi souvent sous les ordres de Philippe, reprendre le flambeau et établir des dynasties qui vont durer des siècles. Sous cette lumière, Alexandre apparaît plutôt comme un aventurier inspiré qui a bénéficié des acquis militaires de son père, de l'excellence de généraux formes et entraînés par son père et presque comme un usurpateur. Il n’empêche la légende a la peau dure et les hommes adorent les légendes.

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