Tuesday, September 23, 2008

LETTRE DE GHANDI A HITLER DECEMBRE 1941

Cher ami,
Si je vous appelle ami, ce n'est pas du formalisme. Je ne possède pas d'ennemis. L'affaire de ma vie depuis trente-cinq ans a été de m'assurer l'amitié de toute l'humanité, sans distinction de race, de couleur ni de croyance. J'espère que vous avez le temps et le désir de savoir comment une portion importante de l'humanité qui vit sous l'influence de cette doctrine d'amitié universelle considère vos actions. Nous ne doutons pas de votre bravoure et de votre amour pour votre patrie et nous ne croyons pas que vous soyez le monstre décrit par vos adversaires.

Mais vos écrits et vos déclarations, ainsi que ceux de vos amis et admirateurs ne permettent pas de douter que beaucoup de vos actes ne soient monstrueux et attentatoires à la dignité humaine, surtout au jugement de ceux qui, comme moi, croient à l'amitié universelle. Il en est ainsi de votre humiliation de la Tchécoslovaquie, du viol de la Pologne et de l'absorption du Danemark. Je suis conscient de ce que, selon votre conception de la vie, ces spoliations sont des actes louables. Mais nous avons appris depuis l'enfance à les considérer comme des actes dégradant l'humanité. Aussi ne pouvons-nous pas souhaiter le succès de vos armes.

Mais notre position est unique. Nous résistons à l'impérialisme britannique tout autant qu'au nazisme. S'il y a une différence, c'est une différence de degré. Un cinquième de la race humaine a été mis sous la botte britannique par des moyens qui ne supportent pas l'examen. Notre résistance à cette oppression ne signifie pas que nous voulons du mal au peuple britannique. Nous cherchons à le convertir, non à le battre sur le champ de bataille. Notre révolte contre la domination britannique est désarmée. Mais que nous convertissions ou non les britanniques, nous sommes décidés à rendre leur domination impossible par la non-coopération non violente.

C'est une méthode invincible par sa nature même. Elle est basée sur le fait qu'aucun spoliateur ne peut atteindre son but sans un minimum de coopération, volontaire ou forcée de la part de sa victime. Nos maîtres peuvent avoir nos terres et nos corps, mais pas nos âmes. Ils ne peuvent avoir ces dernières qu'en exterminant tous les indiens - hommes, femmes et enfants. Il est exact que tous ne peuvent s'élever à ce degré d'héroïsme et que la force peut briser la révolte, mais ce n'est pas la question. Car si l'on peut trouver en Inde un nombre convenables d'hommes et de femmes prêts, sans aucune animosité contre les spoliateurs, à sacrifier leur vie plutôt que de ployer le genou devant eux, ils auront montré le chemin de la libération de la tyrannie violente.

Je vous prie de me croire quand j'affirme que vous trouverez un nombre inattendu de tels hommes et femmes en Inde. Ils ont reçu cette formation depuis vingt ans...Dans la technique non violente, comme je l'ai dit, la défaite n'existe pas. C'est " agir ou mourir ", sans tuer ni blesser. Elle peut être utilisée pratiquement sans argent et de toute évidence sans l'aide de la science de la destruction que vous avez poussée à une telle perfection. Je suis étonné que vous ne voyez pas qu'elle n'est le monopole de personne. Si ce n'est pas les Britanniques, quelque autre puissance pourra améliorer votre méthode et vous battre avec vos armes.

Vous ne laisserez pas à votre peuple un héritage dont il aura lieu d'être fier. Il ne pourra s'enorgueillir du récit d'actes cruels, même habilement préparés. Je vous demande donc au nom de l'humanité de cesser la guerre... ... Pendant cette saison où les cœurs des peuples d'Europe implorent la paix, nous avons suspendu même notre propre lutte pacifique. Ce n'est pas trop vous demander que de faire un effort pour la paix à un moment qui ne signifie peut-être rien pour vous mais qui doit signifier beaucoup pour les millions d'Européens dont j'entend la clameur muette pour la paix, car mes oreilles sont accoutumées à entendre les masses silencieuses.

J'avais l'intention d'adresser un appel conjoint à vous-même et au Signor Mussolini que j'ai eu l'honneur de rencontrer à l'époque de mon voyage en Angleterre comme délégué à la conférence de la table ronde. J'espère qu'il voudra considérer ceci comme lui étant adressé également, avec les changements indispensables.

Trad. Pierre Rocheron in Robert Payne, Gandhi, pp.312-313, éditions du seuil, Paris, 1972.

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